mardi, juillet 30, 2002

Parfois, il est préférable de ne pas connaître la vérité...

...Ce nirvana-là, aucun de nos amis n'en aurait voulu.


XIII
PRATIQUES ERRONÉES
ILS GAGNAIENT LES DOLLARS


Nous n’avions pas pu attraper le monstre, mais nous savions au moins qui se cachait derrière ses attributs. Gondor se redressa et nous sourit, attendant que nous nous installions de nouveau en cercle autour de lui. La fontaine du jardin intérieur glougloutait toujours à côté, et nous flottions nous aussi au-dessus des eaux fraîches de son large bassin.

Nous venions de comprendre comment notre psychopathe procédait. Il combinait sa passion du grignotage avec la visualisation de ses victimes, grâce à sa stabilité de l’attention et la grande clarté de cette dernière. Dès qu’il avait choisi sa proie, il surgissait, se visualisant comme imagiShark, et imaginait qu’il ouvrait le ventre de la victime d’un coup de couperet.

Simultanément dans sa chambre il déchirait son nouveau sachet de chips CrispyMax. Il imaginait que le bol rituel que tient l’imagiShark de sa main gauche se remplissait de la conscience et de la vitalité du malheureux, tandis que dans sa chambre il tenait le paquet de chips ouvert devant lui, frémissant de désir pour en avaler le contenu. Il s’imaginait, toujours en ImagiShark, happer les qualités subtiles de l’autre, les dévorer, tout en puisant dans le sachet aluminisé ses chips, dont il se régalait, allant jusqu’au bout du paquet avec un plaisir inavouable. Il avait peu à peu dérivé de son appétence pour ce grignotage une puissance, capable de dominer, voire de nuire, sans pouvoir vraiment s’arrêter...

Mais Gondor nous montra, grâce à l’instantanéité que permet le rêve lucide, d’où venaient ces pratiques erronées. Et une esquisse en images intérieures de la vie du yogi nous apparut. J’avais entr’aperçu son nom d’état civil : Donald von Ajax. Crocki était bien la résultante d’une éducation. Son patronyme me revint, enfin, pour l’avoir vu cité dans plusieurs publications scientifiques. Donald n’était autre que le fils de l’économiste ultra libéral Friedrich W. von Ajax. Il avait vécu avec son père sur le sol des « States ».

Le père de Donald, Friedrich W. von Ajax, était l’expert d’une importante institution financière de la « Street » cotée au « Stock Exchange[1] ». Il bénéficiait des fonds de recherche abondants de la célèbre Globals Bank, qu’on appelait plus simplement la Globals, et dont les capitaux avaient des origines si discrètes. On ne savait pas comment son cartel débordait ainsi de devises sur ses comptes ouverts à de mystérieux clients panaméens, colombiens, birmans et afghans. D’où venaient ses abondantes ressources qui lui permettaient de louer, au prix fort, tout le soixante-quatrième étage du World Center ?

Dans l’immense tour où était situé le siège de la Globals, traders[2] des institutions financières, marketing afficionados[3] et grands moghols du haut débit numérique, reniflaient, entre deux appels sécurisés sur leurs portables, une étrange poudre particulièrement blanche. Était-ce de la poudre de perlimpinpin ? De la vitamine C ? Un analgésique contre les courants d’air de la climatisation ? La Globals avait d’ailleurs sa propre cache. Dans sa salle des coffres, des millions de blisters[4] transparents, étaient ici discrètement disponibles pour la riche clientèle du gratte-ciel, lui permettant — Snif ! Snif ! — de gérer son stress lorsque l’indice Nasdak faisait du rollercoaster[5] sur ses écrans de contrôle...

Un négoce prospère, qu’on ne semblait pas pressé de comprendre ici — l’argent n’a pas d’odeur — était ainsi le secret de polichinelle de la Globals. Son concours était apprécié, car elle offrait des références bancaires tout à fait convenables à ses clients évanescents. Sur ces comptes discrets affluaient, en espèces, des milliards de dollars, qui ressortaient parfaitement blancs. Pour un bref passage à la Globals, celle-ci prélevait son dû. Fifty-fifty[6] : moitié pour eux, moitié pour elle.

Cette année encore le cabinet de comptabilité Arthur and Derson avait fermé les yeux. Il avait approuvé les comptes financiers de la Globals. Pour cinquante-deux millions de dollars reçus en « honoraires », les experts-comptables d’Arthur and Derson, sortis des meilleures écoles de finance et vêtus de costumes stricts, avaient certifié que les comptes étaient en ordre. Du marketing globalisé des lessives, au recyclage des poudres blanches : les cracks des cracks de l’ultra libéralisme lavaient encore plus blanc que blanc.

Parmi eux, et non le moindre, Friedrich W. von Ajax dirigeait Ajax Eco Clic, ce cabinet d’économie bien connu pour les dégraissages et les récurages des sièges sociaux où il faisait parler la poudre. Soutenu par les millions de dollars de fonds académiques issus de la banque, Friedrich produisait surtout une recherche « ultra libérale ». Cette dernière accréditait la thèse que les marchés devaient être libres et sans contrôles. Il donnait ainsi sa caution scientifique à ses généreux bienfaiteurs, et facilitait la création de leur vaste réseau...
Au pinacle de la réputation scientifique, Friedrich W. von Ajax, la star de la privatisation, faisait la pluie et le beau temps jusqu’en Argentine.

La Globals était le maillon essentiel du World Center. Les meilleurs experts multilatéraux de la spéculation et surtout de l’exploitation globale y avaient leurs comptes numérotés et leurs secrètes habitudes.
Leur pizza surgelée gonflée aux O.G.M., leur pisse à bulles saccharinée, leur cheeseburger graisseux mayonnaise polystyrène expansé et leur navet télévisuel en décomposition avancée — Santa Barbe Rase — avaient envahi les paisibles domaines de la Terre, où les ombres sur le sable et le voyage du soleil rythment la vie millénaire des nomades. Ces regards éveillés au mystère de l’univers, ces familles unies, leurs destins d’argile dorée, ces atmosphères sanctifiées et même ces saveurs subtiles du thé n’avaient aucune réalité dans le monde de verre, de silicone et de titane du World Center si sûr de la conquête des marchés. Le pot de terre contre le pot de fer...

Quelques riches dans le luxe prenaient le meilleur, au détriment de l’humanité, notre humanité.

Les deux cent mille enfants qui vivent de mendicité à Nairobi[7] le savaient bien. Mis à la rue, les petits Kenyans continuaient leur bonhomme de chemin. Eux avaient la conscience tranquille. Sans « stock options », ils trouveraient leur voie, quand même. Eux rêvaient les poches presque vides d’un monde meilleur, et pour tous. Certains d’entre eux l’incarneraient peut-être un jour...

Mais nous revenions déjà à Donald von Ajax. Les images que Gondor nous présentait nous montraient maintenant le fils de l’économiste, dans sa propre réussite en affaires. Donald avait été lui aussi salarié de la Globals. Il circulait alors dans le World Center avec sa trottinette.
Il livrait leurs doses personnelles aux golden girls et aux business boys[8], à partir des commandes qu’il recevait par courrier électronique. Officiellement il était « négociant[9] » à la Globals, et rarement le titre de dealer avait été si bien porté. Son nom de famille ouvrait toutes les portes.

Mais Donald avait remarqué que l’optimisme et l’activité d’un service dépendaient tout autant de la reniflée des cadres supérieurs que de l’investissement financier. Il était bien placé pour le savoir. Il décida que ses profits étaient trop petits, trop durement gagnés dans son labeur quotidien. Il créa alors la nirvana machine.

Son invention était si simple qu’il se demanda souvent pourquoi on n’y avait pas pensé plus tôt. Il achetait des actions des sociétés cotées au « Stock Exchange » et dont le siège social était au World Center. Puis il prélevait quelques dizaines de kilos de poudre surfine de la cache secrète. Depuis l’une des trappes de maintenance technique, il déversait progressivement la poudre dans un tuyau de ventilation pulsant l’air chaud dans tout l’immeuble.

Avec la chaleur, la poudre se répandait sous une forme active dans l’air que chacun respirait. Le building connaissait alors une intense activité, un optimisme renouvelé. Le nez bien rouge, les cadres spéculaient, investissaient, cédaient à une vague d’enthousiasme inattendue. Quand le marché des actions du « Stock Exchange » avait monté, monté, Donald vendait tout et réalisait un joli bénéfice. Il cessait alors d’alimenter en poudre blanche le système d’air pulsé.
Alors, les valeurs financières retombaient, comme un soufflé. Lorsque les cours avaient chuté, en une récession aussi brutale qu’inattendue, Donald achetait à nouveau, avec une partie des bénéfices réalisés, le maximum de valeurs boursières, au prix le plus bas.

Puis, il déversait de nouveau des litres de poudre dans les circuits de ventilation chaude du World Center. La joie revenait chez ses goldies, le retour du bonheur semblait pousser vers le haut les cours, et le marché flambait à nouveau. Quand on était arrivé à un nouveau sommet dans cette bulle d’euphorie, Donald vendait à nouveau son portefeuille et réalisait une opération juteuse. Donald avait enfin découvert l’invention pour gagner les millions.


Mais il s’en lassa rapidement. Son succès n’avait pas résolu son complexe d’œdipe. Il n’avait pas trouvé la paix. Même devenu riche, il découvrait qu’il ne pouvait pas se libérer du monde de Friedrich. Issue des prémisses ultra libérales, sa propre manière d’être n’avait aucune liberté par rapport à ce modèle. Et elle produisait en lui de la souffrance. Donald était toujours dans son monde superficiel... Il voulait connaître le pouvoir du dedans, après avoir exploré celui de l’argent...

Donald disposait désormais d’une fabuleuse retraite par capitalisation et d’une assurance si complète qu’elle couvrait aussi ses deux chats angoras, Barney et Spot. Ils pourraient donc profiter de ses millions de dollars. Dans leur entourage on parlait déjà de menus très améliorés pour eux deux : « Miam ! » Ses deux chats en sécurité, Donald se convertit au bouddhisme. Il alla refaire sa vie, loin, très loin des « States »...

C’est Gondor qui l’accueillit à Karmatchup’Land. Il donna ses vœux monastiques à celui qu’on allait surnommer bientôt Crocki. Mais plus encore, il assuma pour lui le rôle d’un père. Il perçut que ce garçon, déjà détruit dans son intégrité morale, risquait de devenir un véritable criminel s’il ne disposait pas d’un exutoire. Il lui permit donc de laisser libre cours à sa souffrance, à l’intérieur des visualisations imagiShark.

Mais le jeune homme ne put échapper à la violence qui s’était instillée en son cœur... Il devint vite dépendant de ces images qui lui donnaient un tel sentiment, enfin, de soulagement.
C’est ainsi que Crocki traversa la maturité. Une victime devenue à son tour bourreau, un cas somme toute classique.

Gondor soupira :

— Il est devenu trop puissant. Vous ne l’arrêterez pas.

— Et vous Gondor, pouvez-vous le mettre hors d’état de nuire ? Demanda Pomme.

— Non, de mon vivant je n’ai déjà pas pu empêcher qu’il me prenne ce que vous les Indiens appelez le « tranchant », dit Gondor, en se tournant vers Pablito. Et maintenant que je suis mort, et que je n’existe ici parmi vous que par les liens du souvenir, je n’ai plus assez de pouvoir personnel pour m’opposer à sa densité. Il est aujourd’hui si fort...

Il reste une dernière chance. Il existe, en effet, une personne sur cette planète qui peut le stopper, une seule... Sa configuration est précisément complémentaire de celle de Crocki. Sa compassion peut neutraliser la haine de ce dernier.

— Qui ? La question fusait de nos lèvres...

— Vous verrez. Il viendra de lui-même, spontanément, sans que vous ayez à le lui demander. Il se manifestera comme un antidote. Mais il faudra du temps. Et il faut aussi vous attendre d’ici là à ce que cette communauté souffre... Tant que Crocki n’aura pas été confronté à cette force pure et bienfaisante, les ressources profondes de chacun seront lésées par sa manie. Les moines ici seront émaciés, les retraites de trois ans verront sortir des visages affaiblis, consternés et parfois maladifs. Les eurolamas se préserveront comme ils pourront, en évitant le plus possible de résider dans le clos monastique, et ils multiplieront les voyages... Car à l’intérieur, Crocki fera régner sa loi.

Il vous faut préparer la venue de celui qui arrêtera cette terreur. Pour cela vous écrirez le livre que vous avez déjà feuilleté en rêve avec moi, et vous le publierez. Vous raconterez simplement ce que vous avez appris, ombres et lumières. Alors le cercle des lecteurs protégera tant les moines, que les personnes autour du monastère. Car Crocki est malin, il sait qu’il lui est possible de léser des vies à l’extérieur, sans être montré du doigt. Car personne ne peut deviner qui agit ainsi dans l’ombre, ni comment cela est possible... À l’intérieur du monastère et des ermitages de trois années, il se contente de dominer, et d’abuser sans compter de la conscience des autres...
L’ouvrage rendra attentifs nos contemporains à ce secret bien gardé. Et leur attitude concernée constituera un premier champ de force qui entourera Crocki, puis commencera à le contenir... Mais il ne s’arrêtera pas. Pour cela une intervention ciblée sera indispensable.
Le bienfaiteur qui le stoppera, possédera la connaissance parfaite de la constitution subtile de l’humain et une pratique accomplie de ce même « imagiShark rituel ».
Et il viendra ici confronter Crocki, face-à-face. Priez pour que cela n’arrive pas trop tard... Car, d’ici là, chaque nuit paraîtra longue. Et Crocki fera des émules parmi les autres, contraints de l’imiter. Il tendra à les obliger à devenir comme lui, à être durs, intransigeants, implacables et combatifs. Car tous seront amenés à se protéger de lui. Il leur faudra à leur tour accepter d’utiliser la force brutale des imagiShark.

C’est donc le monde autour de lui qui se transformera, en imitant, à son corps défendant, ce bien terrifiant modèle. Le mal se répandra ainsi, inévitablement, à partir de ce cœur noir...
Un nouveau mandala au service de Crocki serait un outil de destruction de l’humanité terrible, car indétectable. Il faut donc appeler de nos souhaits le seul humain capable d’arrêter cette catastrophe... Avant qu’il ne soit trop tard...


CHAPITRE XIV

Sexe, mensonges et VIDEO

La fabriQUE dU « tulkou »

Je reçus alors le texte suivant[i] d’un certain Im Hwa Soen. Il avait dû avoir mon adresse chez Pom’, mais par qui ? Je ne savais si cette personne était coréenne comme son nom le suggérait, mais son intéressant papier tombait à point nommé pour mieux comprendre les coulisses de Karmatchup’Land, tandis que la pression semblait monter chez ses moines. Voici l’intégralité des quelques feuillets dactylographiés reçus par la poste sous une grande enveloppe en papier kraft, l’auteur se présentait comme webmestre et animateur d’un site consacré au bouddhisme contemporain sans autre détail…

« Priscilla et Enriqué étaient à leur manière des fashion victims, des victimes de la mode. Non qu’ils fussent férus de vêtements griffés par les designers, de téléphones ultraplats ou de lecteurs MP3 laqués blancs… Non, ils étaient des cibles de la mode spirituelle, des adeptes du « prêt à méditer », et consacraient leur énergie à la recherche des nirvanas sur catalogue. Ils avaient usé leurs tuniques indiennes sur les coussins des gourous new age. Ils avaient commencé le pèlerinage de Compostelle, mais c’était beaucoup trop long et fatigant. Ils avaient fait craqué chaque mois de juillet leurs jointures d’articulations selon les instructions des profs de yoga branchés. Dans leur minibus Volkswagen, ils étaient partis à la recherche de l’initiation tantrique ultime dans les nouveaux « centres du dharma ». Ils avaient consulté une voyante hindouiste qui leur avait prédit monts et merveille pour leur progéniture. Ils avaient fait de vagues rêves, qu’ils racontaient aux autres comme si c’était des prémonitions indiscutables… Puis, suite à tous ces frottements estivaux, un enfant était venu dans leur couple. Ils l’avaient appelé Paradisio et avaient vu en lui un signe cosmique, le doigt du bouddha en somme. Pour Priscilla cet enfant devait forcément être un grand maître ou un avatar d’un célèbre gourou oriental. Dans leur quête du mieux-être divin, leur enfant allait donc occuper la place centrale. Jusqu’au point où Priscilla convainquit son mari Enriqué de revenir en Inde vers les monastères tibétains en exil pour faire authentifier leur gamin en tant que tulkou comme dans le film « Little Buddha ».

Depuis plusieurs semaines, le couple formé par Enriqué et Priscilla avait approché des temples bouddhistes tibétains en Inde pour essayer de faire accepter Paradisio, leur jeune rejeton, qu’ils emmenaient avec eux, comme la jeune réincarnation d’un célèbre lama défunt… Lequel ? Aucune importance : Priscilla voulait que son bébé soit un enfant choisi, un être exceptionnel, et elle était prête à tout accepter pour cela. Si leur héritier occidental était reconnu comme un célèbre tulkou, une réincarnation, ils auraient le gîte, le couvert, des offrandes de disciples, la bienveillance d’un lignage tibétain, et un avenir tout tracé… Ils suivraient leur fils jusqu’à quelque intronisation lamaïste où il serait riche et puissant, régnant bientôt sur des disciples, des offrandes, des moines. Il aurait sa photo dans les magazines et on verrait aussi ses parents à la télé…

Progressivement au cours de leur périple, cette quête devint aussi une question de survie, leur planche de salut.

Car lors de leur précédent voyage en Inde, interrompu prématurément, qui était destiné pour le couple à s’y installer définitivement, on leur avait même soutiré l’argent d’Enriqué, lorsque imprudemment ils essayèrent de mettre au point une joint-venture avec des hommes d’affaires indiens véreux pour essayer d’ouvrir là-bas une laverie automatique. Il y laissèrent l’héritage que sa famille destinait à Enriqué, qui fit liquider une maison en France, réalisa son bien et… perdit tout ses fonds confiés aux mains indélicates de partenaires d’affaires indiens d’un jour.

Le nouveau périple en Inde fut épuisant, ils furent en particulier éconduits du monastère de Sera dans la région de Mysore où ils allèrent présenter l’enfant, et leur gosse était particulièrement insupportable. Penar rinpoché les mit dehors sans façon avec leur gosse. Ce dernier n’avait certes rien de très remarquable, sinon qu’il pleurait, qu’il criait, qu’il faisait caprice sur caprice, sentant peut-être au fond de lui qu’on le destinait à être l’objet des caprices des autres, et de sa mère en premier… Les jeunes parents qui se disputaient fréquemment n’avaient aucune idée de la manière d’élever un enfant, et peut-être inconsciemment voulaient-ils ainsi résoudre leur nouveau problème de parentalité en faisant assumer la responsabilité du petit par d’autres.

Toujours en Inde, un moine qui les vit si égarés dans leur tête, et avec des poches si désargentées, leur fit un billet d’introduction en tibétain auprès d’un lama de sa connaissance, Guéshé Tenpel, qui vivait en France. Fort de cette lettre banale au contenu anodin, Priscilla eut tôt fait d’imaginer et surtout de faire croire, dès son retour en Europe, qu’elle détenait une de lettre de prédiction indiquant que son fils était un tulkou. En réalité bien que la lettre fût en effet écrite en tibétain, elle ne contenait que quelques formules de politesse et d’introduction d’un simple moine vivant en Inde à son ancien lama instructeur désormais exilé en France. Mais cette astuce, cette lettre écrite dans une langue hermétique à la plupart des Occidentaux, allait lui permettre d’entourer sa recherche de célébrité d’un halo de mystère dont elle était bien décidée à se servir jusqu’au bout.

Enriqué, le père, était un jeune homme attentif et idéaliste, plutôt un écologiste qu’un spiritualiste. Il souffrait de cette agitation que Priscilla, un tantinet mythomane, créait autour d’eux et de leur enfant avec cette frustration de célébrité spirituelle. Chaque jour qui passait était pour lui l’occasion de découvrir qu’il était dans une impasse de plus en plus profonde, avec le projet un peu fou de sa femme pour la reconnaissance de leur enfant. Avec sa souffrance sa lucidité augmentait.

Revenus en France presque sans le sou, ils furent aussi poliment éconduits encore des centres bouddhistes où ils exhibaient l’enfant en le proposant aux lamas, tibétains mais aussi français, comme lama Tchenrésys et lama Gueshé Tenpel, pour que l’un d’eux en fasse enfin la réincarnation de quelque maître défunt, au choix. Flairant l’embrouille et le besoin de prise en charge des parents, aucun lama ne voulait jouer au petit jeu de la reconnaissance du tulkou avec ces inconnus, venus de si loin. Ils se renvoyaient parfois ces hôtes encombrants comme une patate chaude. Personne ne voulait dans son centre du dharma de ces new agers aux désirs brumeux de spiritualité, encombrés de surcroît de leur petit braillard agité qu’ils voulaient faire authentifier comme un bouddha vivant…

Ils finirent ainsi par arriver, en bout de course, à Karmatchup’Land où Crocki poussa Priscilla, la mère du petit Paradisio à rencontrer Balibar.

Balibar, de plus en plus isolé au sein de la mouvance tibétaine en Occident, vit tout de suite l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette situation : une mère prête à tout pour faire reconnaître son enfant, et surtout sans ressources. Elle était prête à le lui donner en quelque sorte, en fermant les yeux sur ce qu’il en ferait pour ses propres intérêts stratégiques…

Il savait aussi la fascination des Européens pour les réincarnations célèbres. Il connaissait le potentiel financier qu’un enfant ainsi monté en épingle auprès des medias, comme la réincarnation occidentale d’un grand lama tibétain, pouvait avoir en terme de retombées économiques. Quelques reportages de télévision, quelques photos choc dans Paris Match, quelques vidéos sur Internet suffisaient désormais à attirer des centaines, voire des milliers d’adorateurs européens naïfs, prêts à croire miracle, au bouddha vivant, à payer des tickets d’admission aux « bénédictions publiques », à se prosterner au pied de la petite idole, et surtout à ouvrir leur carnet de chèques pour des donations plus importantes si on le leur demandait, voire à léguer leur héritage à son organisation religieuse pour atteindre le nirvana après leur mort. Balibar avait donc affirmé sans sourciller aux parents que Paradisio était la réincarnation d’Ananda, le précepteur du jeune Karmatchup au Sikkhim, qui venait de mourir…

Puis après réflexion, il changea de fusil d’épaule et leur fit annoncer par le jeune Karmatchup lui-même que leur enfant était en réalité la réincarnation de Gondor, et qu’il devrait recevoir une éducation ad hoc afin, un jour, de diriger le monastère de Karmatchup’Land.

La raison de ce revirement la plus simple, même si ce n’était peut-être pas la seule, était la suivante : Balibar n’avait aucune envie d’assumer les dépenses et les ennuis liées à l’éducation de l’enfant. Or si c’était la réincarnation d’Ananda, il devrait y contribuer, Ananda ayant été son plus proche collaborateur. En affirmant que Paradisio était le tulkou du défunt Gondor, il se déchargeait des frais et des tracas de l’éducation du gamin, qu’il pourrait tout aussi bien surveiller d’un peu plus loin, puisqu’il était le régent officiel de Karmatchup’Land…

Passé la confusion et l’effet de surprise, la maman était très satisfaite de l’aubaine. Ainsi les problèmes matériels des deux parents semblaient résolus : le monastère de Karmatchup’Land paierait pour l’entretien de l’enfant et pour les dépenses de la famille… Nous étions en Occident, on ne pouvait pas retirer l’enfant à sa mère à un si jeune âge, et elle ne le voulait d’ailleurs pas.

Alors Crocki, proche de Balibar et qui comptait bien diriger un jour Karmatchup’Land en ayant de l’autorité et de l’ascendant sur l’enfant destiné à y régner, lui choisit un précepteur. Il prit un proche disciple à lui, un « ami » qui lui était dévoué, maître Médor, un avocat qui arrivait bientôt à l’âge de la retraite et qui s’était acheté une maison non loin de Karmatchup’Land où il vivait avec sa femme, Suzie.

Crocki souhaitait que Maître Médor entrât dans la vie de Paradisio, qu’il en éloignât un peu Enriqué qui semblait de moins en moins apprécier ce destin qui était proposé à son fils, et qu’il s’occupât de l’enfant en préparant chacun à l’idée que c’était bien la « réincarnation » de Gondor.

Ce n’était pas chose facile car le vieux Gondor, de son vivant, n’avait jamais exprimé la moindre intention, ni oralement, ni bien entendu par écrit, de se « réincarner » dans un tulkou. Gondor n’était pas un tulkou lui-même, mais un moine issu du rang et d’extraction modeste. Il n’était certes pas un aficionado du système des tulkous, ayant souvent souffert de la discrimination qui existait au sein du système tibétain et qui permettait que les privilèges des monastères se destinent aux tulkous, issus des familles riches et influentes. Le traitement réservé aux yogis et moines pauvres, de milieu simple, comme lui, était beaucoup moins bon. Il avait dû longuement faire ses preuves au plan spirituel pour être reconnu comme un bon lama, tandis que les tulkous, même sans qualités, même avec des vies débauchées, disposaient de disciples, de donations et appartenaient de droit aux élites lamaïstes. Ne serait-ce que pour cette injustice, Gondor, n’avait sans doute aucune envie de contribuer à sa mort à ce système de réincarnations officielles qui était souvent au cœur de la corruption du lamaïsme et à la base des difficultés et des ségrégations qu’il avait lui-même rencontrées au cours de son parcours monastique…

Mais revenons justement à ce jeune « tulkou » supposé de Gondor. En réalité Enriqué, témoin dès la première heure de toute l’histoire, sans illusions sur les fabrications et les mensonges de sa femme, ne croyait pas à la fable qui était ainsi mise en scène sous ses yeux. A cause de cela il était de plus en plus déprimé. Il se confia à des amis et leur fit part de son histoire : l’enfant n’avait rien de Gondor, il était juste au coeur de la stratégie de quelques hommes, en premier lieu Balibar et Crocki, qui voulaient un enfant lama docile avec des parents disponibles pour prolonger dans le temps, et grâce à lui, leur pouvoir et leurs prérogatives.

Car celui qui choisit l’enfant, qui encadre son éducation, qui s’assure la gratitude et la « reconnaissance du ventre » de ses parents, se partage bientôt le pouvoir avec le « tulkou » officiel. En réalité ce futur lama devient une marionnette entre leurs mains, tout comme le jeune Karmatchup, choisi par ses soins, était déjà le petit Pinochio de Balibar.

Crocki l’avait bien senti, et il ne voulait pas laisser passer sa chance de tirer les ficelles du deuxième Gondor, futur patron de son monastère. Il donnait dans ce sens des instructions à son disciple Médor, épris de dévotion à son égard et qui ne voulait rien lui refuser.

Se prenant au jeu du « précepteur » d’enfant bouddha, et obéissant aux instructions de Crocki, Médor pénétrait ainsi rapidement dans l’intimité de cette petite famille, logée désormais aux frais du monastère qui louait pour elle la belle maison du défunt David, l’eurolama handicapé disparu prématurément quelque temps auparavant.

Dans le confortable ermitage, Médor passa bientôt de nombreuses heures avec la mère et l’enfant, et il découvrait bientôt qu’Enriqué devenait un sérieux frein au projet de transformation de leur fils. Crocki encourageait d’ailleurs le mentor à écarter sans façons Enriqué, dernier obstacle avant que Karmatchup’Land pût prendre le contrôle du projet de vie de l’enfant.

Tandis que le mari déprimait, sa femme, elle, était sur un petit nuage : les moines de Karmatchup Land venaient de lui offrir une voiture neuve, une Ford Ka bordeaux métallisée. Et Ka, le nom de son modèle Ford, c’était justement les premières lettres de Karmatchup… Tous ses souhaits se réalisaient : l’argent arrivait, le vieux précepteur était aux petits soins, la maison qu’on mettait à sa disposition était confortable.

Bien sûr son fils Paradisio était un gosse comme les autres, peut-être un peu plus égoïste, agité et capricieux, et qui n’avait ainsi pas les qualités qu’on espérait d’un saint gourou… Mais qu’importe, puisque c’était désormais son chemin tout tracé : il était officiellement la réincarnation de Gondor selon la volonté de Balibar et de Crocki…

Bien sûr aussi son mari, le père de leur enfant, vivait cette comédie très douloureusement. Il voyait son enfant lui échapper, aux mains d’une institution, et de ses quelques hiérarques, sa femme prête à tout, offerte à eux pour un peu de sécurité, de prestige et de confort…

Puis Maître Médor, le précepteur, se laissa rapidement séduire lui aussi… Son rôle lui donnait de l’importance, du panache, des responsabilités… Il se disait qu’il était en train de devenir indispensable pour accompagner Paradisio, ce jeune « boudddha vivant » vers son sacerdoce à venir. Il se voyait déjà, se tenant fièrement parmi les personnalités et les eurolamas, lors de l’intronisation de Gondor II sur le trône de Karmatchup’Land, d’ici une à deux décennies…

Enriqué, de plus en plus attristé en découvrant ces grandes manœuvres, était parti au volant de son minibus prendre l’air ailleurs pour quelques jours. En son absence, ce soir, assis dans le canapé grenat du salon de Priscilla, Maître Médor avait passé son bras autour de l’épaule de Priscilla. Elle l’avait laissé faire… Encouragé par son immobilité, il caressa bientôt de son autre main les seins qui pointaient à travers son tee-shirt de coton sérigraphié à l’effigie du Karmatchup, elle ne protesta pas…

Il arrivait à l’automne de sa vie, cheveux blancs, une retraite avec sa femme Suzie quinquagénaire, sans grand frisson, non loin de là, dans une autre maison de ce bourg de montagne… Et sous ses mains si expressives, palpitait le corps inattendu d’une aventurière prête à tout. Vingt-cinq ans de moins que lui. L’absence de réaction de Priscilla valait assentiment pour poursuivre la visite médicale, relever la jupe bordeaux, retirer sa petite culotte couleur grenat.

Tandis que Suzie, l’épouse, l’attendait en vain à la maison, et que le petit Paradisio dormait innocemment dans la petite chambre à côté, Maître Médor dont la respiration s’était faite bruyante, dans le feu du désir, ôtait son pantalon, baissait son slip gris, de marque Pierre Cardin, et enfonçait, sans capote, sa grosse verge dressée et gonflée dans la chair chaude et encore juvénile de Priscilla, qui n’en était pas à une double trahison près… En tant qu’avocat il risquait peut-être les assises pour ces gestes accomplis, alors qu’il était en position d’autorité, sur une personne en état de faiblesse. Ne lui avait-on pas confié Priscilla et sa famille pour qu’il en soit un précepteur, un guide, un modèle ? N’était-il pas auxiliaire de justice ? Cela aurait dû lui interdire tout geste déplacé. Mais en ces instants il ne pensait pas à cela. Haletant comme un Doberman, le toubib besognait sa proie à grands coups de rein, ayant à son tour bien perdu les pédales de la raison, de la décence et de la mesure. Ni le calme ermitage bouddhiste qui les accueillait, ni sa mission sacrée de préceptorat d’un enfant, ni son serment ne retenaient plus le libidineux en lui qui, au paroxysme de sa jouissance, lâcha un ultime râle... Le bouddha devait rougir en entendant ce soufflet de forge depuis sa terre pure…

Le gros dégueulasse, se dit Priscilla au moment où il jouissait sans ménagement en elle, je le tiens par le bon bout, il ne m’échappera plus maintenant…

Ses propres pensées rassérénèrent un peu la jeune femme qui découvrit que le canapé grenat, choisi pour être assorti à la couleur monastique du bouddha, venait d’être souillé par les sécrétions de Rantanplan… Constatant les dégâts, elle pensa très fort :

Ca va laisser une auréole, même après nettoyage à la teinture écarlate, et ce ne sera pas l’auréole de sainteté du bouddha…

Elle trouva la force de dessiner un beau sourire énamouré sur son visage pour donner le change… Peu importe, il s’était adossé au canapé, et épuisé par des efforts qui n’étaient plus de son âge ronflait déjà…

La situation de Priscilla s’arrangeait bien, avec Maître Médor dans son lit désormais… Le désir de l’un rencontrait l’intérêt de l’autre… Car Priscilla avait vu aussi tout le parti qu’elle pouvait tirer du vieux. Comme elle pouvait le faire marcher ! : Elle était jeune et avait de jolis seins, des petites fesses qui rendraient fou ce cabot qui jouait au précepteur. Et il disposerait bientôt d'une retraite du bareau, une situation rassurante pour elle. Médor, le klebs en rut, pensait-elle, valait quand même mieux qu’Enriqué à ses yeux, qui avait perdu tout son argent en Inde, qui était chômeur, et en plus qui ne voulait plus de ce projet, pourtant excitant selon elle, de tulkou pour son fils.

Alors, avec la célérité propre aux seules femmes, ce soir là, elle prit sa décision en un clin d’œil. Elle décida de troquer, d’un seul coup d’un seul, son jeune mari Enriqué pour la sécurité du vieux Médor. Elle se décida à laisser tomber le premier. Enriqué était le père de son enfant. Oui, mais c’était fini à compter de maintenant, puisque Médor, le précepteur, serait un nouveau beau-père, sécurisant, et compatible avec la grande carrière de tulkou officiel de son petit Paradisio… le futur grand Gondor II qui saurait attirer vers elle argent, prestige et honneurs …

Quelques jours plus tard, au retour d’Enriqué, ce dernier découvrit, effondré, la liaison de sa femme avec le « précepteur » de leur fils. Il réalisa que non seulement il était exclu de sa vie maritale, mais aussi de sa vie familiale, car Paradisio était bel et bien passé sous la tutelle de facto de Maître Médor, avec la complicité de Priscilla.

En quelques mois, avec cette histoire de tulkou fabriquée de toutes pièces, Enriqué avait perdu ses biens, sa femme, son fils et sa vie familiale… Il indiqua à Priscilla qu’il allait se suicider, car sa vie n’avait plus de sens. Pas de problème, Maître Médor sortit de sa sacoche de cuir un formulaire d’internement psychiatrique, comme il l’avait déjà fait quelques temps auparavant pour faire interner Pablito, le chercheur améridien en psychologie, qui commençait à devenir gênant pour le Nirvana Network. D’une main experte, sans hésiter plus de quelques secondes, il effectua l’internement à la demande de tiers d’Enriqué. Ils appelèrent une ambulance... Enriqué serait non seulement éloigné, mais surveillé dans une clinique psychiatrique ou il serait bourré de médicaments psychotropes ; il se tiendrait tranquille. Il ne serait plus un obstacle à leurs projets ni aux parties de jambes en l’air adultérines du vieux ténor du bareau avec sa jeune maîtresse, au prétexte qu’Enriqué, l’époux légitime, pouvait tenter de s’ôter la vie.

Mais si Enriqué semblait neutralisé, il restait encore une difficulté : Suzie, la femme de Médor, qui habitait à quelques centaines de mètres au domicile conjugal et qui apprit bientôt les infidélités de son mari au petit nid douillet de Priscilla. Elle était furax

Inopinément, quelques semaines plus tard, Enriqué sortit de la clinique psychiatrique et son premier geste fut de se pendre par une corde à un arbre d’une forêt voisine. Il ne se rata pas.

Autour de Karmatchup’Land on laissa courir la fausse rumeur qu’Enriqué se droguait et qu’il avait fait une overdose, tout simplement pour étouffer l’affaire entourant sa mort impromptue, affaire qui pouvait devenir gênante avec cette succession de cadavres autour du monastère. En réalité, en étant débarrassé d’Enriqué, le témoin le plus gênant, il n’y avait désormais plus d’obstacles pour entériner la thèse de la réincarnation de Gondor et faire marcher un jour, quand l’enfant serait plus grand, le tiroir caisse de Karmatchup’Land en y attirant la foule des gogos aux grandes initiations tantriques pour l’y exhiber.

Enriqué avait cependant eu le temps de confier toute son histoire à un couple de confidents, des amis de longue date, afin que sa vérité ne fût pas oubliée, leur expliquant la genèse de ce tulkou de circonstance que Karmatchup’Land allait fabriquer avec son fils, au prix de tant de trahisons, de mensonges et de sa propre mort annoncée. Et ce sont ses amis qui m’ont confié ce récit…

Pour échapper au scandale, à la colère de Suzie, le nouveau couple illégitime formé par Médor et Priscilla s’en alla, loin, vers le Sud avec Paradisio. Là, Médor, arrivant pourtant déjà à l’âge de la retraite, dût reprendre son activité d’avocat auprès du bareau pour subvenir aux besoins de sa nouvelle petite famille, et surtout pour payer la pension alimentaire de Suzie la délaissée, qui ne lui fit pas de cadeau.

Le monastère de Karmatchup finançait à distance, et à l’occasion, les dépenses du foyer recomposé par Maître Médor et Priscilla afin de continuer à garder une option sur Paradisio. Crocki envoya même en émissaire un moine à sa botte habiter non loin d’eux pour maintenir la pression sur le gamin, pour que personne n’oublie qu’il était destiné plus tard au monastère. Mais Priscilla éloigna ce nouveau « tuteur », d’un coup de griffe.

Des coïts sans préservatif de Maître Médor et de Priscilla naquirent bientôt un autre enfant, qu’ils appelèrent Eternity, et ils racontèrent à tout le monde que le petit frère de Paradisio était la réincarnation d’un autre tulkou, le fameux lama Maitreya. Ils n’en étaient pas à çà près. Petit à petit, les deux enfants élevés dans l’idée qu’ils étaient de célèbres réincarnations se prirent au sérieux. Ils passèrent leurs jeunes années ainsi à jouer aux tulkous, se chamaillant au prétexte que Paradisio, la « réincarnation » de Gondor, devait respect et obéissance à son cadet, Eternity, la « réincarnation » de Maitreya, à moins que ce ne fût le contraire…

Près de Karmatchup’Land, Suzie fut bientôt approchée par Crocki qui perçut la femme seule et éplorée, et comprit l’aubaine que cela représentait pour lui, moine esseulé, de la consoler. Il devint son invité presque quotidien, disposa même d’une chambre à lui dans sa maison, un artifice de présentation destiné à faire taire les rumeurs d’une liaison contre nature entre le moine et la femme divorcée et qui ne trompait personne. Il la fréquenta ainsi sous couvert d’être son « ami spirituel » et son instructeur en tantrisme. Mais au lieu de pratiquer ensemble le culte de Tara verte, elle lui faisait de bons petits plats, ses lasagnes, qui lui donnèrent bientôt un peu d’embonpoint, et surtout Suzie n’avait pas son pareil pour ses fameuses sucettes, qui le remplissaient de contentement.

Crocki proposa bientôt à Suzie de transformer en ashram tantrique la grande maison un peu vide que lui avait laissé Maître Médor. Il se faisait fort d’y attirer des moines candidats qui cherchaient désespérément un logis après leurs retraites dans un Karmatchup’Land déjà surpeuplé. Et en demandant à ces adeptes, du travail bénévole, un loyer et des offrandes, ils transformèrent le vieux corps de ferme en ermitage payant, un des seuls businesses viables dans cette région à la démographie clairsemée.

Sentant que l’étau de la vérité tendait à se refermer peu à peu sur lui, qu’un jour ou l’autre il serait persona non grata au monastère de Karmatchup’Land lorsqu’on aurait découvert ses pratiques secrètes de magie noire avec les ImagiSharks prédateurs, Crocki préparait sa reconversion, et son petit « golden parachute » comme « maître tantrique » chez Suzie, en cachette puisqu’il était toujours officiellement moine…

En attendant, Enriqué était mort… Et même si personne ne s’en doutait encore, c’était une victime de plus dans cette longue série… »

Im Hwa Soen

Webmestre de bouddhismes.info

[fin du document dactylographié reçu par la poste]

[i] [Ce chapitre XIV qui précède appartient au roman « nirvana (thriller), l’auteur rappelle qu’il s’agit toujours ici d’une œuvre de pure fiction romanesque et que toute ressemblance des personnages avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite et due au hasard…Les situations présentées sont purement fictives et obéissent à une logique littéraire.]



XV
MANDALA
COOKIES !


Notre livre fut « écrit à six mains », comme disait Pomme. Il s’intitulait « Nirvana », conformément au souhait de Gondor. Nous en adressâmes des exemplaires aux moines. Les camarades de Tchang apprécièrent la contribution de cet ouvrage, paru un peu avant la fin de leur retraite. Il fut largement diffusé sur Internet en e-book — les nouveaux livres électroniques — et téléchargé dans le monde entier.

Mais les prévisions de Gondor s’avéraient, hélas, justes. Les armes psychiques des « imagiShark » se retournaient progressivement contre les eurolamas. Désormais à l’intérieur même des deux monastères, il n’y avait plus beaucoup de moines ni de moniales qui résidaient en permanence. La plupart avaient « d’excellentes raisons » pour partir aussi souvent que possible : « Des disciples à enseigner... à Ibiza », des « devoirs familiaux fréquents à Paris » ou les édifiants « pèlerinages sur les lieux saints en Inde »... Bref, il semblait que les eurolamas commençaient à « bouder » leur propre sanctuaire qui demeurait de plus en plus vide de « méditants ». Le temple dédié aux rituels quotidiens devenait un haut lieu folklorique où se hasardaient surtout les stagiaires...

Les trois cent trente mille exemplaires de la première édition de notre livre « Nirvana » furent comme des « petits cailloux blancs » pour que Petit Poucet trouve son chemin. Ils s’avérèrent de simples points de repère, des ponctuations infimes dans ce scénario d’évolution plus vaste aux forces plus profondes qu’avait esquissé Gondor. Et nous attendions toujours le mystérieux benefactor qui nous délivrerait.

Le temps passa, un peu plus d’une année s’était écoulée depuis les propos de Gondor. On entendit alors que le daïla lama préparait une nouvelle visite en Europe. Il demandait à être reçu dans deux centres... Tchenrézys’Land et... Karmatchup’Land. La prophétie de Gondor allait-elle se réaliser ?

Le daïla lama était connu pour sa fermeté. Il n’hésitait jamais à remettre en place les ego hypertrophiés des « maîtres ». Parmi ces derniers, certains, imprudents, aimaient à « parader » en public, profitant même de la célébrité du daïla lama pour briller de tous leurs feux...

À cet égard, la première des deux visites fut pour lama Tchenrézys, l’abbé occidental d’un autre monastère himalayen, établi lui aussi en Europe. Notre Tchenrézys s’était un peu pris au jeu de la notoriété, avec quelques belles « réussites » d’ailleurs ! Il avait fait réaliser par un bijoutier une grosse chevalière ressemblant à celle des évêques, qu’il arborait dignement à son doigt — car il avait désormais le statut qu’ont aussi ces prélats catholiques.

Pour préparer l’apparition en public du daïla lama, lama Tchenrézys avait obtenu, du musée de sa région, le prêt de deux superbes fauteuils haute époque, sur lesquels il se proposait tout à la fois d’asseoir le daïla lama et lui-même, à égalité en quelque sorte, pour un moment prestigieux en public ! Mais le daïla lama ne l’entendit pas de cette oreille. Mis sur l’estrade, face au public rassemblé, devant le fait accompli, il refusa l’élégance aristocratique des vastes fauteuils ancien régime. Il demanda à la place deux simples coussins qu’il fit poser sur le champ, à même les planches, pour lui et son hôte Tchenrézys...

Après ce camouflé, une petite réunion fort animée avec les bénévoles de cette communauté occidentale s’ensuivit. Le daïla lama y expliqua aux bonne volontés qu’il ne fallait se confier qu’à un maître véritablement réalisé... Chacun comprit à demi-mot, et le centre bouddhiste se vida en quelques jours de ses bénévoles.

Ils laissèrent donc le fringant Tchenrézys, Supérieur nouvellement promu à ce statut officiel, tout désemparé dans son abbaye médiévale récemment rénovée en congrégation religieuse.
Tchenrézys réalisa ainsi qu’il était allé trop loin. Il fit le nécessaire, suite à la visite du daïla lama, pour retrouver la simplicité...

Ce fut bientôt le tour de Karmatchup’Land, où Tchang était toujours en retraite, de recevoir la visite du daïla lama.
Pour la venue du saint homme, tout le monde au monastère s’était regroupé le long du chemin arboré qui montait jusqu’au temple. C’était là où il s’avançait, à pied, à la rencontre de la communauté.

Dans la foule, Crocki avait, lui aussi, son écharpe de soie blanche, et se tenait prêt à l’offrir au prestigieux visiteur. Des pétales de roses avaient été dispersés sur le sol. Des trompes tonitruaient. En haut, la hiérarchie était sur les nerfs. En effet, chacun savait que la visite signifiait une remise en cause de l’indépendance du monastère.

Quelques années auparavant, sa direction n’avait-elle pas discrètement fait retirer des chambres les photos et les livres du daïla lama ? Elle avait publié enfin ce communiqué indiquant qu’elle ne se rangerait pas sous l’autorité du Tibet en exil... La pomme de discorde était ce choix du monastère d’introniser le Karmatchup promu par Balibar, dont le daïla lama ne voulait pas. Et il serait, bien entendu, question d’autorité, de titres, et de rang. Toutes choses qu’on aimait ici beaucoup, mais qu’on ne désirait pas du tout remettre en cause, ni négocier.

Sous un parasol tenu par un novice, le daïla lama marchait, accompagné de sa suite. Il y avait son traducteur tibétain, docteur de l’université Harvard. On trouvait également son assistant personnel, un lama souriant, duquel émanait une sympathie contagieuse. On reconnaissait aussi son chambellan, un homme mûr au regard vif... Des moines du principal monastère indien où enseignait le daïla lama avaient été invités au grand voyage. C’étaient des jeunes gens tout émoustillés de cette opportunité de parcourir le monde que leur donnait « Sa Sainteté ». Enfin, parmi eux, quelques moines dansants fermaient le petit cortège, parés de vêtements brodés d’or, comme les divinités de sagesse himalayennes, et réjouissaient les yeux émerveillés de chacun...

Dans son nouveau courrier électronique, Tchang nous avait prévenus, Pomme et moi, de la puissance qui accompagnerait une telle visite, apparemment toute protocolaire. Il pensait que toutes sortes d’activités dans les plans subtils allaient apporter une transformation irréversible dans le devenir du monastère. Il nous disait de penser à respirer lentement, et de méditer attentivement, afin de percevoir quelque bribe de ce renouveau qui flotterait peut-être dans l’air de cette journée...

Chacun s’avançait poliment sur le bord du chemin pour offrir, du bout des mains tendues, une écharpe de soie. Le daïla lama, courtois, s’arrêtait à chaque pas, et rendait l’écharpe en la déposant sur les épaules du bienheureux d’un geste élégant, avec un large sourire lorsque des bambins se présentaient à lui...
Mais le tantrisme européen n’attirait toujours pas les foules en dehors des congés scolaires, dans cette montagne paisible. Nous n’étions que quelques dizaines aujourd’hui pour ce rendez-vous... Certains des visages qui s’inclinaient tour à tour devant le souverain pontife m’étaient déjà familiers : l’eurasien Kim, Bobby le motard, le distingué Fabrice, Pablito...

Pomme et moi, nous entourions Crocki de part et d’autre, prêts à toute éventualité, car nous craignions pour la vie du daïla lama.
Déjà Crocki offrait son écharpe. Il semblait très concentré, comme s’il se visualisait en imagiShark. Le daïla lama cilla à peine, lorsqu’une expression lointaine, distante, implacable, passa, fugitive, sur ce visage pâle incliné devant lui. Pomme et moi eûmes la perception intérieure de ces instants : Crocki tentait de subjuguer le daïla lama.


Crocki imaginait qu’il était devenu noir, énorme, le poil hérissé, entouré de flammes rougeoyantes, et que le daïla lama était tout petit et réduit à sa merci, retenu sous son large pied d’imagiShark aux ongles acérés.
« Kshh ! » En un éclair, il imagina qu’il attrapait de sa main griffue notre daïla lama. Ce dernier, il le voulait minuscule, gigotant, apeuré, en l’air, tandis que l’imagiShark le soulevait...
« Kshh ! » Crocki visualisait déjà son agréable festin : il s’apprêtait à engloutir le daïla lama en une seule bouchée.
Il allait l’enfourner vivant, avec sa robe bordeaux, ses jupons couleur safran et ses lunettes, tout crû, dans sa grande gueule carnassière ornée de gigantesques incisives blanches. Il ouvrit largement son redoutable clapet.
Ses puissants maxillaires écartés formaient comme un sourire gourmand. Il y précipiterait donc sa victime qu’il tenait au-dessus, suspendue entre son pouce et son index...
Tout cela ne lui prit qu’un instant, au moment où il se penchait, apparemment dans la plus profonde dévotion, pour recevoir l’écharpe que le daïla lama lui passait autour des épaules.

Pomme, réalisant comme moi ce qui se passait, pressa son talon de chaussure sur les orteils de Crocki, qui était nu pieds dans ses sandales. Ses doigts de pieds endoloris lui firent perdre un instant le fil de sa concentration.
Quant à moi j’exhibais sous les yeux de Crocki un paquet, taille Jumbo, de chips CrispyMax saveur bacon, que j’avais caché sous mon châle, et qui m’avait fait ressembler à Bibendum. Je fis crisser ostensiblement le papier aluminisé de l’emballage sous son nez.

Confronté à des orteils endoloris et à une telle tentation visuelle et sonore, Crocki perdit la stabilité de sa visualisation. Nous avions gagné du temps, quelques secondes à peine, afin que le daïla lama puisse entrer, sans être dérangé, dans sa méditation de la vacuité, en dissolvant les éléments conscients de sa réalité, les uns après les autres, passant par les étapes successives que chacun éprouve au moment de l’extase sexuelle, mais aussi de la mort, du coma ou encore de l’éternuement.... Depuis la vacuité, il ne pouvait maintenant plus être atteint par la forte densité de l’imaginaire de Crocki.

Le daïla lama, et sa suite, avaient l’habitude des pratiques erronées des disciples, surtout dans quelque faction renégate. Ils savaient bien que cette promenade pouvait réserver ce type de surprise.

Des vaisseaux lumineux surgirent de la suite du daïla lama. Ils restèrent invisibles pour la plupart d’entre nous dans la petite assemblée. Ils émergèrent dans notre monde humain depuis une autre dimension inconnue. Ils allèrent protéger chacun au monastère, dans les centres de retraites, chez les disciples, et parmi la foule rassemblée ici. Une nuée de ces champs de lumière translucide, dotés d’activités subtiles, se répandait. Ils entouraient chacun, et se fondaient avec chaque constitution humaine.

Crocki en fut lui aussi rapidement entouré et des effets psychosomatiques souverains prirent possession de son corps. Des activités fluides se déplacèrent bientôt à l’intérieur de lui, animées de courants et d’une grande mobilité interne. Le corps de Crocki était visité par ces fluides dorés aux circulations précises...
Pomme et moi bénéficions, en ces instants, d’une sorte de zoom grossissant notre perception, nous permettant de discerner ses détails.
Un minuscule mandala, une sorte de disque sur lequel était disposées des silhouettes miniatures et comme vivantes, fut instantanément extrait du corps subtil de Crocki, au niveau de son nombril, par ce champ doré et mouvant. Nous percevions comme au ralenti ces interventions invisibles, par une étonnante médiation intérieure.

Ce mandala, nous en vîmes rapidement quelques détails. Il s’agissait du domaine à taille réduite des idoles qui étaient vénérées au monastère... Il y avait le bouddha, les imagiShark prédateurs, les divinités du tantrisme, comme autant d’aimables santons de Provence qui auraient été virtuels, animés et vrais, tout à la fois. Du mandala, les silhouettes de plusieurs imagiShark noirs furent aspirées par le vaisseau invisible, et elles y disparurent. Le mandala désormais plus petit, et réduit à des silhouettes rouges, blanches et or fut réintroduit dans le corps de Crocki. Ce dernier venait de perdre la puissance des imagiShark, celle qui avait permis à ses passions, à sa colère, d’avoir des effets multipliés, et d’agir ainsi sur les autres...


Car ses visualisations courroucées étaient rendues efficaces, en servant d’organe sensoriel à un système spoliateur sophistiqué, existant dans des plans imperceptibles, en filigrane de notre monde et de ses lois. Cette intrusion des neurosciences d'autres mondes passait ici inaperçue. Elle faisait irruption, à la manière d’un invisible vaisseau furtif, dans notre humanité. Sa conscience collective disposait d’une technologie psychosomatique avancée.

L’informatique des hommes et sa complexité ne peuvent encore rendre compte de ce qu’est cette science furtive. Internet connaît la multiplication des cookies. Ces petits programmes mobiles entrent à leur insu dans les réseaux de télécommunication. Certains peuvent même faire remonter vers leur ingénieur, le hacker, les codes confidentiels permettant de débiter des comptes bancaires, à l’autre bout du monde.

Cette image simple est insuffisante, cependant, pour suggérer ce qu’était ce réseau de simulations neurosensorielles interactives. Celui-ci avait développé des cookies pour notre univers humain organique. Ces activités échantillonnaient les nuances de la conscience et les télétransportaient dans ce système. Leurs qualités se transformaient, se combinaient de nouveau, selon une logique indéchiffrable.

Ce qui était prélevé chez les humains allait de la vitalité juvénile à la méditation paisible. Ce système psychosomatique très complexe prenait, recomposait, et réintroduisait parfois des flux, tant de conscience que de vitalité, dans les expériences des personnes.

Cette méthode lui permettait de promouvoir des orientations collectives, de favoriser les évolutions d’un groupe, et de stopper les résistances des personnes concernées. Selon des stratégies confidentielles, desquelles notre entendement devait rester loin, notre humanité était mise à contribution, réduite à de vastes gisements de conscience primitive. Nous ne pouvions pas imaginer que nous étions des mammifères élevés en stabulation libre !

Impossible pour autant de désigner les responsabilités : ce système provenait d’autres dimensions et, tel un vaste vaisseau spatio-temporel, il savait y circuler. Connaissant les principes du temps, il émergeait à l’affût des opportunités faciles de conquête et de colonisation. Comme les humains le firent au cours de leur histoire...

La colère, combinée à l’utilisation d’images agressives imagiShark, pénétrait les constitutions psychosomatiques humaines. Grâce à l’effraction, ces activités accédaient à l’intimité des êtres vivants. Elles y prélevaient les meilleures énergies de bonheur. Elles pratiquaient un appauvrissement progressif de la vie... Elles savaient transformer rapidement un groupe, et ne se souciaient pas de lui assurer un éveil spirituel.

Depuis l’invisible, heureusement, d’autres présences prenaient soin de la vie.

Ainsi, dans le monde animal, certaines consciences évoluées guidaient les oiseaux migrateurs. Elles les accompagnaient jusqu’à l’Arctique. Puis, elles les ramenaient jusqu’aux terres australes. Ces amicales influences montraient la Création, ses forêts, ses montagnes, ses horizons nacrés, aux grues blanches, aux oies cendrées, aux cigognes et aux cygnes chanteurs... Elles leur faisaient partager une belle aventure. Pour un grand voyage de trois mille, et jusqu’à vingt mille kilomètres, selon la force des oiseaux, la solidarité, la sincérité, la tendresse devaient, en effet, guider leurs paisibles escadrilles.

Autour du daïla lama, quelque champ d’une haute exigence morale pouvait de même réparer les brèches béantes que des forces obscures, à travers Crocki, avaient provoquées dans notre espace temps. Des activités positives désarmaient ce hacker. Elles retissaient sur place ce qui avait été endommagé : la soie de l’éther, les vaisseaux d’or de la conscience, la diversité des expériences en somme...

Un deuxième mandala était encore extrait du corps de Crocki par ce même vaisseau lumineux et bienfaisant.
Le nouveau disque, plus complexe, comportait lui aussi des silhouettes vivantes, d’une taille réduite. Il était extrait cette fois du cœur de Crocki. Il abritait des consciences beaucoup plus nombreuses, moines du monastère et personnes du voisinage. Ceux que Crocki avait subjugués par la violence avaient été gardés ici « en otage » par des moyens échappant à notre compréhension.
Une silhouette de chacun y apparaissait, subissant les mauvaises humeurs de Crocki, à l’intérieur même du corps subtil de ce dernier. Ces personnes douces avaient apaisé Crocki en permanence.

Nous comprîmes, avec Pomme, que Crocki disposait ainsi d’un accès intérieur au potentiel de ceux qu’il avait secrètement dominés. Ces derniers avaient vu un peu de leur autonomie s’enfuir, sans savoir pourquoi. Crocki disposait d’un supplément de bonté et de conscience et d’une force intérieure qui lui venait d’eux tous. Le vaisseau amical, issu d’une dimension subtile, qui transformait Crocki définitivement, envoyait des rais de lumière, faisant revenir à chacun son dû, et libérant tous ceux qui étaient les prisonniers de ce système.
Ces victimes devaient sentir « quelque chose » qui leur était restitué, tandis qu’une partie de leur propre conscience leur revenait. Crocki en avait donc bénéficié. Il avait retiré à chacun un peu de sa clarté, de sa joie, de son magnétisme, de sa capacité.


Sur le disque translucide restaient encore quatre formes humaines. Par la magie de l’instant, nous pûmes discerner clairement leur identité. Elles étaient situées aux quatre directions principales.
Nous reconnûmes à l’Ouest du mandala la silhouette d’un môme de dix ans, en maillot de bain, au cours d’une baignade. C’était le petit garçon qui s’était noyé, il y a quelques années de cela... À l’Est du disque, un homme vêtu de la robe prune des moines semblait méditer, c’était Perceval, le bienveillant disciple qu’appréciait tant Gondor...
Au Nord du disque, David souriait, assis dans son fauteuil roulant.
Tandis qu’au Sud, Ananda, le propre précepteur du Karmatchup, enseignait le premier sermon du bouddha sur la souffrance...

La puissance et le rayonnement intérieur de Crocki lui venaient ainsi d’autres hommes dont la vitalité avait été prise. Elle ne venait pas des « bouddhas ». Sa vie s’était enrichie de ces influences, telle une pile invisible que les malheureux avaient chargée sans le savoir... Crocki avait reçu le meilleur de ces existences, dont quatre étaient déjà éteintes... Pomme et Pablito avait été sacrifiés, eux aussi. Mais ils avaient sauvé leur peau in extremis, frôlant la catastrophe au cours de leur expérience au seuil d’une mort imminente... Et ils assistaient, éberlués comme moi, à la restitution impalpable des mérites à leurs propriétaires...

Je sentis le formidable flux qui dilata un instant le corps subtil de Pomme à mes côtés, tandis que le daïla lama, d’un infime geste du doigt, désigna la poitrine de Crocki. Chacun retrouvait la vitalité et la conscience qui lui avaient été prises silencieusement par Crocki et les pirates invisibles.

Nous entendîmes une voix douce à l’intérieur. C’était celle de Kim qui se tenait non loin. Il utilisait sa télépathie pour communiquer avec nous. Il nous dit gentiment : « Les qualités qui sont restituées en ces instants, ne peuvent pas faire revenir à la vie ces quatre êtres humains décédés. En revanche, elles vont être restituées rétroactivement dans leurs existences, dans ce temps enfui seulement en apparence. Elles seront déposées tout au long de celles-ci, de notre présent vers leur passé. Par un paradoxe temporel, ces quatre personnes défuntes vont bénéficier a posteriori d’un enrichissement de leur brève existence... Elles auront plus de joie de vivre et de clarté mentale... »

Le mandala vidé se résorba enfin dans l’espace et disparut, tandis que le vaisseau doré se dissolvait, laissant un Crocki blêmi et décontenancé...

Le daïla lama continuait son chemin, et passait les écharpes au cou des disciples, un peu plus loin... Mais nous le vîmes cependant, comme s’il se purifiait de quelque scorie adventice, rouler entre son pouce et son index comme une boule de la taille d’un très petit pois, qu’il semblait avoir extraite lors de sa brève rencontre avec Crocki. D’un geste discret qui échappa à la plupart d’entre nous, il la lança prestement dans le buis taillé de la haie. Pomme était rayonnante, survoltée et radieuse...

Le daïla lama, sentant sans doute nos regards sur lui, s’arrêta sur le chemin. Il se retourna vers Pomme. Il lui fit un gracieux petit signe de la main, avec sa bonhomie coutumière.

Le daïla lama désarma ainsi Crocki. Alors, autour de ce dernier, la mort s’arrêta de prendre prématurément d’innocentes vies humaines...

Crocki était la porte par laquelle la transformation collective était possible.
Il s’était consacré à des marottes dans ses pratiques secrètes.
Pour des raisons étrangères à l’entendement, celles-ci avaient acquis la singulière puissance que confère une place centrale dans un réseau hiérarchisé de disciples : un mandala.
Enfant, Crocki avait été un souffre-douleur dans sa propre relation au père. Il avait reproduit ce schéma. Il trouvait facilement d’autres personnes pour devenir sa victime, afin de les dominer, puis de leur faire subir ses outrages imaginaires.
Il appréciait ainsi de disposer de boucs émissaires à l’extérieur du monastère et donc, de sa vie quotidienne. Crocki était ainsi certain de l’impunité.
L’autre qui quittait la lamaserie ne lui restituerait pas de mal pour ce mal. Le malheureux subissait alors, sans le savoir, toutes sortes d’images de torture et de mort violente.

Mais Crocki n’était pas « le responsable » de ces quatre trépas, de ces deux expériences de décès imminent, ni même des difficultés inopinées de nombreux autres... Au sens où la loi l’entend, ou même selon le sens commun, nul responsable n’existait. Chacun était renvoyé à son libre arbitre, à sa propre manière de vivre et à ses relations sociales.

Cependant une interdépendance de multiples facteurs avait vu se produire ces tragédies. Circulant dans cette connexité, quelque part dans une chambre, il y avait aussi la pratique secrète de Crocki, bien dissimulée au cœur d’un clos érémitique...

On ne pouvait pas dire : c’est Crocki qui a pris les quatre vies, ni même trois vies, deux vies ou même une seule de ces existences humaines.
Mais en vivant son fantasme de meurtre sans le révéler, en répétant le passage à l’acte, jour après jour, dans la clarté de sa méditation, il chargeait ce réseau de la dévotion d’une énergie offensive et dynamique. Celle-ci trouvait l’exutoire d’une mort prématurée, d’une innocente vie qui était atteinte, à distance. Crocki était l’accumulateur de violence, la force de frappe d’un autre monde qui disposait avec lui d’une arme fatale...


Je découvris, à travers l’étude que Tchang m’avait proposée, que ce que nous appelons hasard ou destin n’est pas seulement tissé de faits. Il nous faut également observer les coïncidences apparemment fortuites, la synchronie de leurs anecdotes et l’affleurement d’un insondable filigrane.

La présence subtile de tous les êtres, de toute la nature, constitue une trame active, cachée derrière l’apparence de notre monde, comme les mailles tricotées d’un vaste pull over invisible. Chaque maille compte, et tient tout l’ouvrage, en étant comme les autres, indissociable d’elles. L’existence des uns est préservée par celle de chaque autre, tout comme les points d’un solide tricot.

Un fil qu’on tire, voilà qui défait le maillage, et bientôt tout le chandail. Un seul homme avide ou tyrannique est un accroc terrible, si la foule sentimentale est assez naïve pour le laisser détenir un pouvoir.

Mais une habile reprise — un simple nœud au fil cassé — stoppera la déchirure, si elle est détectée assez tôt. Chacun est responsable pour résister au prédateur, aussitôt que possible, avant que le dommage ne se répande... Témoigner et agir préserve ainsi tous les autres, et l’œuvre du vivant que tous partagent.

Les amis de l’humanité, ceux qu’animent la fraternité avec la Nature, des sentiments équitables envers autrui et la liberté créatrice de leur pensée, sont comme des arbres toujours verts. Leurs profondes racines soutiennent aussi la Terre. À l’aube, leur feuillage est bruissant du réveil des oiseaux.



ÉPILOGUE 1
DHARMA[10]
QUE SONT-ILS DEVENUS ?


La visite du daïla lama allait changer bien des choses. Celui-ci était connu pour sa capacité à transformer les institutions. Ainsi libérés de l’étau de fer qu’avait resserré Crocki, les eurolamas se déculpabilisèrent aussi vis-à-vis de la leur.
Ils furent plus parcimonieux avec les visualisations courroucées, dont ils connaissaient maintenant, avec la terrible épreuve qu’avait imposée Crocki, l’ombre possible. Certains refusèrent de célébrer les imagiShark, estimant par expérience, que leurs déviations avaient plus de chance de détruire les autres que de les aider à trouver la sagesse. En effet, le pouvoir était une tentation évidente, mieux valait ne pas la chatouiller avec l’image de puissance qu’incarnaient ces vieilles effigies.

Ils se rapprochèrent ainsi de leur époque et de leurs contemporains, pour ne pas regretter d’avoir partagé la même humanité et le même temps, célébrant avec eux le miracle fragile de leur précieuse vie humaine.
Ils eurent ainsi l’idée de rentabiliser le nouveau temple dédié à Karmatchup. Ce mammouth de béton, pouvant accueillir cinq cents personnes, était désaffecté par manque de fidèles dévots, mais avait coûté une fortune. Il n’était pas de surface à l’intérieur, aussi petite fut-elle, qui n’eut pas été recouverte de peintures et de dorures. Épuisées par cette débauche de colonnades et de stucs, les finances de la congrégation avaient grandement besoin d’un bain de jouvence en euro sonnants et trébuchants.

Alors, chaque fin de semaine le temple cyclopéen se métamorphosait désormais en un vaste hall de danse non-fumeur, une discothèque night-club du tantra... Le soir venu, Fabrice de Guermante, le jeune standardiste, devenait le Disc Jockey apprécié de tous, mixant divinement le nouveau folklore techno.
Le juvénile D.J. trônait, royal, en robe Burgundy, à ses tables de mixage, sur le devant de la statue géante du bouddha de l’autel.
Une foule chamarrée ondoyait à ses pieds sur la piste, au rythme des beats per minute, parmi les vapeurs d’encens au santal. Les éclairages xénon, les projecteurs laser rouges et verts donnaient une nuance d’irréalité au décor des mille bouddhas dorés dans leurs niches éclairées par fibre optique, et aux vastes péristyles peints de divinités.

Afin de satisfaire leur jeune clientèle, les eurolamas servaient des cocktails sans alcool. Ils circulaient avec les plateaux chargés de milk shakes et de jus de fruit exotiques, drapés impeccablement de leur robe et de leur châle, offrant un service convivial et stylé à chacun. Leur uniforme bordeaux rehaussait encore le caractère authentique de ce haut lieu qui faisait fureur dans la région.

C’était enfin la grande mode du style de vie Zen pour tous. Une foule joyeuse et affamée venait se rasséréner à des stands de restauration rapide à thèmes qui occupaient désormais les côtés du grand temple.
À main gauche, je découvrais MacTsampa’s Himalayan Fast Food Restaurant, où officiait Crocki. Il y avait reconverti sa passion des chips saveur bacon « pour le bien de tous les êtres ».

Au fond, la boutique CrazyYogy Unisex Fashion offrait à chacun les nouveautés de tee-shirts imprimés, casquettes, et colifichets de verroterie dont s’affublait volontiers la jeunesse qui dansait juste à côté sur la piste.
À main droite de l’entrée du hall, un autre stand proposait la nourriture instantanée des pauses snack, et arborait un néon où clignotait l’enseigne LamaHut Express Tsok Dinner.
Plus loin, trois distributeurs de préservatifs offraient respectivement des condoms aromatisés à la banane, au kiwi et à la vanille. À proximité, et au fond du hall, je découvrais Lhassa AstroSoftware 3’’. La boutique « psy » virtuelle proposait en trois secondes un bilan pronostic personnel sur ordinateur s’étendant aux cent prochaines années, grâce à l’astrologie indienne d’évolution...

À l’étage, les appartements, qui ne servaient pas souvent au Karmatchup, étaient reconvertis. C’était l’étape obligée pour les noctambules épuisés par la danse. Chacun venait s’y reposer, en se rinçant le gosier... et l’œil.
Le Go-go Boy[11] Skylounge Bar[12] offrait cette ambiance feutrée que chacun appréciait, dans de vastes canapés de velours cerise.
On y trouvait aussi une clientèle mûre et aisée, venue du Moyen-Orient et des pays d’Afrique Noire, qui affectionnait depuis peu son spectacle de cabaret, une revue éblouissante avec plumes roses en matériau synthétique imitation autruche, strass scintillant et paillettes assorties.

Le vaste temple hiératique, qu’illuminait l’enseigne géante Nirvana Technopolis, était la brillante réalisation d’une communauté en reconversion rapide.

Le daïla lama, quant à lui, put revenir s’installer au Tibet, peu de temps après ces événements, tout comme ses moines, et oublier enfin leur long exil fraternel en Inde. Le nouvel homme fort de la Chine, Hu Jintao, eut la bonne idée de créer dans la région rendue autonome un vaste conservatoire de nature et de traditions.

Le daïla lama put de nouveau déambuler dans son cher parc de Norbulinka, parmi les biches et les daims, et prendre soin de ses chères fleurs, comme de ses souvenirs d’enfance retrouvés. Il vivait désormais sur le toit du monde comme un ami.

Le Tibet n’était plus un royaume d’ailleurs, mais une jeune démocratie, qu’il avait appelée de ses vœux depuis longtemps. Le peuple en exil rentrait volontiers au pays, qui s’enrichissait avec le fabuleux boom économique que connaissait singulièrement son amicale protectrice de toujours, la grande Chine. On allait élire un président du gouvernement tibétain chargé de l’exécutif, et un parlement de députés, au suffrage universel, pour la première fois.
La Chine se réjouissait des ressources qu’un tourisme nouveau, écologique et conscient, développait au Tibet enfin libre et sauf. La liberté d’expression était revenue, avec le bonheur, dans les Himalaya.

Tchang rentra en Malaisie après que sa retraite monastique fut conclue. Il y fonda sa nouvelle société de prêt à porter « 4you ». Cela signifiait : « Pour toi ». Une nouvelle manière de travailler y était expérimentée.

Il créa en effet de nombreuses petites unités à taille humaine, très présentes dans les provinces insulaires du Nord de Bornéo — à Sarawak — en offrant à chacun le travail à temps choisi, et une possibilité d’y exprimer largement son initiative. Sa mode devint donc la mode des gens, celle qu’ils créèrent eux-mêmes, dans les diverses régions, avec leurs couleurs, des nuances, la diversité et une grande richesse de styles.
Les vêtements n’étaient plus stéréotypés. Si les pièces étaient uniques, elles étaient signées par le modeste couturier de village qui en avait assumé le travail de création. Son idée généreuse de rendre libre le choix du temps de travail, et d’en restituer la paternité à ceux qui l’inventaient, eut le prodigieux succès qu’on sait en Asie...

Quant au Karmatchup retrouvé par Balibar, il gagna sa vie en tournant des spots. Automobile, confiserie : le marketing de la grande consommation faisait appel à son image colorée pour présenter des produits aux téléspectateurs. Dans une publicité, on le voyait brandir, assis sur son trône doré, un flacon de sauce tomate épicée. Grâce à des effets spéciaux, des éclairs fulgurants semblaient jaillir de l’emballage. Il souriait enfin à l’écran :

— Sa belle robe rouge & son unique saveur pour tous vos plats ! Tomato Ketchup Heins : pourquoi réfléchir davantage ?! [13]

J’acceptai, quant à moi, la proposition amicale de Pomme de rester vivre dans sa belle villa de granit... Je me rendis utile, en la secondant pour éditer ses œuvres littéraires sur Internet. Cela lui permit d’être lue et appréciée jusqu’au bout du monde...

Une de ses frêles plaquettes de prose, intitulée « Les Terres Pures », évoquait « l’éther pur » de l’expérience humaine[14].



LES TERRES PURES
L’ÉTHER PUR

Aux enfants d’Orion
et d’ailleurs


Aujourd’hui

A ujourd’hui, alors que souffle la tempête et que gronde l’esprit du Temps, naît en toi une innocence nouvelle, éclôt une fleur suave, frais et sauvage myosotis.
Alors que vrombit l’haleine de l’hiver sur les champs humides de ta mémoire, enfle en toi la voile du souvenir qui t’enlace et t’entraîne sur les Mers du devenir.

Que ta conscience s’ouvre, soleil mûr emplissant l’horizon de son lever équinoxial, le Toi qui sommeillait s’éveille, se lève et marche sur le chemin d’or et de lumière, qui attendait en son sein.

Que la vitre s’embue des fraîcheurs solsticiales et ton cœur rayonne, lui aussi, dans la candeur de tous les chérubins du monde et des univers autour.

Que ton œil frémisse sous ton cil, que son éclat s’éclaire d’une promesse d’étoile, de lune ou d’astre secret, la conscience qui soupirait en ta gorge s’éveille, chante sa mélopée de cristal.

Que tes cheveux dansent sous la tramontane de tes sens et ton front s’éclaire de la nuance de ton âme aux regards de mauve et d’argent !

Et si ta couronne frémit aux quatre Orients de la mort qui rôde dans les saisons du corps, un voile diamantin l’orne de la marque royale, qui éternellement signe l’héritier des cieux azuréens.

Alors l’enfant s’éveille, frotte ses yeux et se lève de sa couche de feuilles d’automne oubliées par l’hivernale tempête [...]

Et sa danse réchauffe les mondes et leurs glaces fondent. Ainsi se régénère la nature intérieure de l’être renaissant.

Ainsi fleurit l’envie d’étreindre le ciel qu’ont souvent les êtres de lumière.




Galion

Quand un grand navire d’amitié prend le vent du large pour entrer dans le golfe de ta douceur, si le galion à l’équipage de mousses brille de ses ors dans le havre de tes eaux profondes, c’est qu’un étranger, capitaine aux yeux d’aigue-marine, va apparaître sur le pont de tes désirs, à la rencontre de l’initiale qui rayonne au centre de ta poitrine.

Et lorsque chaque mousse t’a adressé son sourire radiant, lorsque les ors de la nef ont élevé ton désir, le solitaire marin t’offre dans une boîte d’épices et de fleurs étranges, le cadeau qu’il te restait à recevoir.

Tu l’ouvres et sur le velours écarlate repose la statuette de porcelaine claire.[...] La petite figurine te sourit et désigne d’un doigt tendu le centre de ton sein, comme si tu ne devais garder que cela de la visite magique du galion messager.

Et ce sont les cris des bateliers qui ramènent ton âme au port de ta vie, ils t’embrassent et courent remonter l’ancre d’argent et larguer les amarres du temps.

Le capitaine à la barre tient la roue à huit branches, aux pommeaux de cèdre, sur le pont ciré du miel des anges. Les voiles neigeuses se gonflent et le vaisseau quitte ton rivage, dans le doux froissement du flot tranquille par son étrave de bois odorant.

Les mousses blonds agitent des mouchoirs rouges, les mousses bruns des mouchoirs blancs, et la voilure tend l’esquif vers sa destination à l’autre rive de l’océan de vos rêves où l’attend un autre ami, impatient, sur la grève, de recevoir du mystérieux pilote maritime, la boîte tendue de velours où repose la clef bénie du porche de son âme.

Au loin il ne reste qu’une goutte de lait sur les pétales de la mer, la dernière voile disparaît sous la ligne de l’horizon, et ton regard contemple le visage [...] qui te sourit.








Éventail

Des étoiles une rosée tombera sur tes cheveux, lorsqu’un vaisseau transparaîtra dans ta nuit. Et tu seras en un instant dedans, seul mais si bien, dans la chaleur de son sein. Et le vaisseau, rhomboïde adoubé, t’emportera en d’autres confins.

Tu lèveras les yeux vers sa coupole de cristal, tournée vers l’encre du ciel où fourmillent les galaxies empressées, bleuissent les étoiles d’or et se déversent, laiteux dragons, les symphoniques spirales constellées.

Parfois les instants de solitude sont si pleins que l’on désire qu’ils s’allongent, amis toujours paisibles, auprès de nous. Et c’est le silence recueilli de la nef sidérale qu’il te faudra quitter pour voir l’autre univers où tu viens d’émerger, comme le bambou naît à la lumière en perçant la neige qui le protégeait.

Et l’astronef sera absorbé vers un autre monde. Il restera comme un présent, trace lumineuse, sur l’écran apaisé de ta conscience qui t’emmena si loin de ta terre, si près de ton cœur.

C’est aux facettes de l’éventail, quand il se déploie dans l’air chaud du soir, que l’on reconnaît la beauté de l’image qui se reconstitue. Si nulle main ne vient déployer ce qui tenait plié, jamais l’œil ne peut contempler la beauté que le peintre oriental posa sur le papier de riz, ni le visage se rafraîchir du souffle que l’image calligraphiée envoie en vagues ondoyantes quand la paume doucement l’agite.

Nous sommes cet éventail replié qui attend le souffle de l’été et la main complice pour être révélé, paon somptueux, phénix ancien, à l’icône que nous portons peinte en couleurs d’éternité depuis que nous sommes.

Et l’image s’étire de plan en plan, de conscience en conscience, comme les baguettes rythment le déploiement de l’éventail. Se reconstitue, du cœur de la Terre aux mondes de lumière, la méditation particulière qui de sa fraîcheur t’habite.






Partir

Comme une émanation d’élixir parégorique. Comme un castel sous la brise, une plage à Venise. Partir, Ô, luxe frivole, nuance, danse féconde, valse du cœur qui s’enlace. Loin de ce passé qui poisse, de cet avenir qui menace ton corps, ton âme, tes yeux, la joie de cette poitrine qui bat si fort.

Paix, sur le ciel où traînent des nuages d’or, où fugace passe une cigogne, où volage, danse l’oiselet. Comme une bourrasque, une Bergamasque, un silence fait d’éther félin et délicieux. Comme une claque sur le visage de l’adieu, un couple qui s’embrasse.

Au centre de l’expérience palpite cette pépite, ce jet de vie. Et c’est là que gît le délice de partir un peu, un peu plus près de ces rêves féconds qui nous brument de leur bonté immense.

Je n’ai que ce cri : partir. Sur le continent de brumes blanches où forcit l’enfance désordonnée. Comme une fraternité novice au cœur de glace, fusée des cimes au fanal fantasque. Comme une adolescence épatante, bardée des joies douces du temps. Comme un silence fait d’amour. Un pas dans le cours du fleuve des cieux bénissants. Une porcelaine frivole aux chatoiements discrets.

Sur ce seuil glisse une goutte d’automne, au cœur irisé de douceur.

Oui, le départ est toujours en dedans. Toujours secret, royal et seul. Vivant pèlerinage sur les Gange austères, sur les baies rayonnant un soleil interdit aux regards sacrilèges.

Un départ est toujours cette huée dans le noir, ce pleur à vide sur les charbons ardents de l’appel qui vibre.

Comme un soir et un matin qui l’enlace, comme un creuset d’audace et un chant d’oracle vivace.

Comme une perle qui roule et se rêve, vivant tissage, de la joie qui rayonne, grande, aux portes de l’espace.





ÉPILOGUE 2
SAMSARA[15]
DES GAUFRES !


Pomme devait ainsi nous aider à recevoir notre part d’éternité : dans la poésie existait l’équilibre. La terre et le ciel, le désir et la connaissance s’y trouvaient, accessibles, humains et éternels, tout à la fois. Mais le temps devait quand même rider nos jeunesses, et passer trop vite... Je devins, avec les printemps successifs, un jardinier et un simple promeneur...
Soixante ans passèrent.

Nos aventures à Karmatchup’Land étaient si loin déjà ! Pomme allait fêter son centenaire dans quelques jours ! À l’automne de ma vie, mes quatre-vingt-dix ans feraient bientôt tomber une feuille de plus. Tchang aurait bientôt quatre-vingt-six perles à son rosaire... Nous l’invitâmes à venir fêter le siècle de Pomme. Comme se réjouissait cette dernière :

— C’est Zen d’avoir une seule bougie à son anniversaire !

Nous envoyâmes à Tchang notre invitation : Pomme nous ferait ses fameuses gaufres au chocolat blanc...

Ismaël était donc arrivé chez nous pour quelques semaines de villégiature en Europe. Nous passâmes un bon moment, échangeant nos souvenirs d’anciens.
J’aidais Pomme, bien âgée désormais, à actionner le Grill-Tout SEB de 1300 watts, laqué rouge. Ensuite il nous fallait plonger ses deux gaufres dans le chocolat blanc qu’une casserole tiède maintenait en fusion...
Après un ultime thé, parfumé aux pétales de roses Pierre de Ronsard, Tchang voulut revenir voir le monastère de sa jeunesse.
Je proposai à mes deux amis de les y conduire, avec ma nouvelle Citroën.


La Citroën Smd embarquait le dernier cri de suspension magnétodynamique à effet de champ gravitationnel. Je fis le plein du bolide avant notre ballade. J’ouvris la trappe du réservoir de carburant. Elle était marquée H2O. Je remplis d’eau froide, avec le tuyau d’arrosage du jardin.

La marque aux deux chevrons avait équipé la berline d’un nouveau groupe thermique Cold Fusion Akito Takahashi, assemblé à Osaka, sous licence Pons & Fleischmann. C’était une introduction récente, depuis la découverte de la fusion froide. Grâce à elle, une source fabuleuse d’énergie avait été révélée. On avait enfin mis au point des procédés sûrs pour fondre à froid les noyaux d’hydrogène de l’eau.
Dans ma voiture, l’électricité nécessaire à la fusion des protons contenus dans l’eau du carburateur, était produite par les capteurs solaires miniaturisés. Ils étaient désormais inclus dans les molécules de la peinture de carrosserie.
Cette dernière était souple, en kevlar. De légers boucliers en fibre de carbone protégeaient le véhicule des petits chocs, lors des manœuvres d’arrimage, lorsque le système de suspension gravitationnelle soulevait la voiture du sol.
Il n’y avait, en effet, pas de roues, ce n’était plus nécessaire. Les techniciens avaient mis au point des hauteurs de vol entre zéro et trois mètres, où les forces magnétiques permettaient un guidage efficace et une bonne trajectoire.

Nous allions éviter la petite route de campagne, et couper à travers champs, passant au-dessus des murets et des haies vives, sans crainte de nous perdre, avec le Global Positioning System (G.P.S.), son guidage par satellites.

Surfant par-dessus les bocages, nous arrivâmes vite en vue de ce monastère où Tchang avait fait retraite. Nous fîmes flotter doucement la nouvelle Sm autour de l’ancien clos abandonné... Il n’y avait plus de portes, ni de clôtures. Des fourrés poussaient çà et là dans les bâtiments délabrés de béton cellulaire.
Les anciens ermitages étaient froids, humides, et trop succincts, pour accommoder la vie humaine plus de quelques décennies. Mais ils constituaient désormais des abris appréciés par les veaux de race charolaise qui paissaient en liberté.


Depuis ces dernières décennies, partout sur la planète, le style de vie végétarien avait gagné des amateurs, et la consommation de viande avait bien chuté. Des luttes sociales nouvelles avaient même obtenu la fermeture de nombreux abattoirs. Une charte des « Droits des Animaux et des Arbres à Disposer d’Eux-mêmes » avait été votée au niveau planétaire. Le protocole interdisait l’abattage des grandes forêts et de vastes cheptels protégés.

Un Parc Naturel du Peuple Animal Libre avait été créé ici, autour de ces lieux abandonnés et propices. Les vaches ruminaient paisiblement sur la pelouse du clos monastique, et s’abreuvaient à la fontaine où coulait encore une claire eau de source... Les veaux s’ébattaient dans les lieux verdoyants de la lamaserie. La puissante rumination des bovins déployait son bien-être sur la « terre pure du bouddha Karmatchup ». Les bœufs semblaient bonhommes et placides ici, parmi les bouddhas de ciment moulés, moussus et usés par la pluie. Les choses avaient donc suivi leur cours naturel...

Nous avançâmes doucement en direction de l’ancien temple. Les séquoias gigantea avaient poussé, et s’étaient semés, encore et encore. Une haute futaie entourait l’énorme temple de béton fissuré, aux murs chancelants. Je devais conduire lentement la berline à trois mètres de hauteur, évitant les troncs d’arbres au sol, et les lianes qui enlaçaient les conifères. Le climat de la planète était plus doux depuis son réchauffement. Une flore subtropicale tendait à se déployer agréablement, depuis peu, dans la région...

En contournant le mastodonte de ciment, on y distinguait des cassures qui s’élargissaient. Les constructeurs n’avaient pas prévu assez de joints de dilatation. Les premières craquelures avaient servi de repaires à des rongeurs, puis à des oiseaux, qui y avaient déposé leurs glands et leurs graines. Ces dernières avaient germé. Des arbres y avaient poussé, écartant les fissures avec cette étonnante force des végétaux. Les racines avaient commencé à faire éclater les parois, pourtant épaisses d’un mètre trente à leur base. Les ferrailles apparaissaient çà et là, au-dessus des murs de poussière, tandis que des statues de plâtre jonchaient le péristyle titanesque. Plusieurs de ses colonnes s’étaient inclinées...

Nous trouvâmes une petite clairière pour suspendre la voiture à vingt centimètres du sol, en position géostationnaire. Nous nous frayâmes un chemin entre les fougères, les palmiers, les lianes et la folle avoine, vers le seuil du temple. Nous étions ralentis dans notre marche, tant par nos propres années, que par la végétation verdoyante.

Les portes de bois étaient rompues, et leurs battants tombaient en lambeaux. Des monceaux de bouddhas de plâtre étaient dispersés, parmi des débris de verre et des filaments de fibre optique qui avaient servi à éclairer les mille niches vitrées. Pomme ramassa un des bouddhas, au visage encore doré à la feuille. Elle le regarda attentivement, ôta de la main quelques brindilles de la statuette :

— Ce n’est pas de chance qu’ils aient reproduit en mille exemplaires le même original banal.

J’ajoutai :

— Ce style monumental est celui d’une société du spectacle. Ses promoteurs tantriques avaient trouvé la manière de faire travailler gratuitement les jeunes et les pauvres, sans les y contraindre, par le pouvoir de ce grandiose de pacotille, en leur faisant miroiter le nirvana...

Tchang n’était pas d’accord avec nos appréciations, qu’il jugeait sévères :

— Non, je trouve le kitsch adorable...

Il désigna de la main la haute statue de cuivre qui s’élevait contre l’ancien autel et ajouta, avec ce sérieux qui le rendait inimitable :

— Cette fantaisie est tellement berlusconienne.

Des noisetiers envahissaient les pieds de ce bouddha massif, de sept mètres de haut, au sourire absent et inexpressif, tandis que des lianes s’entortillaient autour de son bras droit touchant le haut socle, symbole d’une terre prise à témoin...

Des vestiges de bas-reliefs peints apparaissaient sur les murs intérieurs, les caissons du haut plafond et les colonnades hiératiques. Les oiseaux voletaient çà et là dans le vaste édifice aux vitrages brisés, chapardant les rouleaux de prières photocopiées qu’ils trouvaient dans les bouddhas de plâtre creux, et les déroulant joyeusement comme des serpentins...

Le mandala géant, peinture polychrome sur coton d’époque XXIème siècle, qui avait été tendue au plafond, pendait maintenant à moitié dans le vide.
La masse de tissu, pourrissante et éphémère, subissait les flots des pluies qui ruisselaient par les fissures des skydomes en Plexiglas. Tchang nous apprit que c’était ce type de toile, large de huit mètres, qu’on avait utilisé au siècle précédent pour y peindre les décors... des théâtres !

Les poules et les canards avaient élu domicile dans la cage d’escalier qui montait aux anciens appartements de Karmatchup à l’étage supérieur. Il nous fallut déranger une horde de volatiles caquetants pour nous y frayer un chemin parmi les lianes qui s’agrippaient aux murs verdis, où l’eau de pluie suintait continuellement...
En écartant des feuillages envahissants, on découvrait la vue depuis la terrasse supérieure. Elle était toujours belle, ouvrant au lointain sur la perspective des chaînes de montagnes. Les milans planaient comme avant, au lointain temps de mes trente ans...
Les lourdes rambardes de bois s’étaient déboîtées. Celles qui demeuraient étaient tenues par les troncs d’arbres qui poussaient entre les vieilles dalles disjointes...
Des fougères élégantes semblaient se plaire ici, et commençaient à tout envahir des anciens promenoirs.

Nous pûmes accéder à la petite pagode tout en haut, par le vieil escalier raide qui y accédait. Ses blocs de béton étaient branlants sous nos pas hésitants. Les baies brisées ne protégeaient plus l’ancien reliquaire où le moine Kim m’avait reçu, il y a bien longtemps déjà... Un anonyme avait peint à l’aérosol ce graffiti sur le mur intérieur, protégé des précipitations : « Ce qui apparaît est sujet au changement, puis à la disparition. »
Tchang nous dit que c’était l’avant-dernière parole prononcée par le bouddha avant sa mort, le parinirvana. Il y aurait ajouté un ultime message : « Efforcez-vous, moines, vers la perfection. » Pomme prétendit que la perfection n’était, hélas, pas accessible à l’humain, compte tenu de la limite de ses sens rudimentaires.
Selon Pomme le pieux conseil était de pure forme...

Le petit toit recouvert de cuivre était rongé par l’oxydation. La chute d’un séquoia l’avait bousculé, et il s’inclinait comme un aimable parasol. Son vieux paratonnerre rouillé pendait par son fil de cuivre. Les oiseaux avaient fait leurs nids sous les charpentes de bois noircis, et semblaient être ici les nouveaux rois...
Nous redescendîmes vers l’oblongue Citroën blanche qui attendait, rutilante, dans la clairière bruissant du chant des insectes. Nous partîmes, silencieux, contemplant l’impermanence de toute chose.

Le véhicule se faufilait au-dessus des ronciers, des sureaux, des bambous géants, des acacias fleuris et odorants qui s’élevaient des murs fissurés. Des galeries s’étaient effondrées, et d’autres suivraient, dans la pénombre de l’humide forêt subtropicale. Le colosse de béton était trop lourd pour ses maigres fondations... Il commençait de s’enfoncer du côté où des sources surgissaient, encore et encore... Il y avait eu ici mille tonnes de béton moulées, que la nature engloutirait bientôt... Pomme souriait. Elle nous récita doucement le leitmotiv du nirvana, le mantra en sanskrit de la perfection de sagesse :

— Om gaté gaté paragaté parasamgaté bodhi soha !

Après un silence, elle suggéra :

— Ce qui traverse le temps n’est pas ce qui est dur, lourd ou pesant : c’est cette eau qui efface tout inlassablement, et fait croître de nouveau la vie...
À cet instant notre véhicule effectua un vif écart en vol gravitationnel. Le système de G.P.S., réglé sur la sensibilité maximale, avait détecté, devant, la proximité d’un papillon paon du jour. Pour ne pas le heurter, nous le contournions automatiquement...
Le joli coléoptère voletait déjà, insouciant, vers quelque butin floral.... Nous le regardions depuis la voiture, et sa joliesse devenait son message extraordinaire. Voici ce qu’il exprima de ses quelques battements d’ailes :

— Aujourd’hui une ouverture s’est faite en mon jardin, un rayon nouveau de miel a éclairé cette forêt de la vie. Une petite mélodie joue déjà doucement, et vient nuancer la douceur de cet instant qui veut arrêter le temps.

Doucement en l’herbe soyeuse de mon amour, de mes secrets, de mon intime prédilection, je suis venu me poser, moi le papillon de l’esprit, légère et fugace bénédiction, ami lointain au cœur polychrome.

Le ciel se révèle plus clair, et la vie plus ample, comme si une vague transparente venait de déferler sur mes fleurs pour les humecter de sa marine candeur. Un instant qui se pose, ténu et discret voyageur des au-delàs ambrés de septembre, un souffle de pureté, légers cheveux d’or.
Une imperceptible brise fraîchit dans la candeur du soir, comme la rosée vient adouber de son délice la mouvance des herbes, ondoyant privilège.
Ce sourire invisible qui est venu de si loin se poser sur nos ailes de lumière veut déjà repartir saluer d’autres amis, plus lointains encore. Nous voulons le garder près de nous, intime présage, douceur musquée, amicale confidence murmurée au levant de nos âmes, et je ne peux retenir mon envol, car déjà je volette vers une plus infime prédilection de luminescence intérieure...

Ne tais rien de ce que tu as découvert,
Ne garde rien pour toi de ce que tu dois dire ;
Nul n’est en faute pour avoir parlé ;
C’est à qui entend d’en comprendre les bienfaits.

(Sagesse chinoise)



[Et si vous me demandez quel est mon avis quant au "nirvana", j'oserai :]
Le nirvana n'est pas dans le rêve d'un ailleurs, il est déjà présence au monde.

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TABLE DES PERSONNAGES


I. Antonin de Novalis, sociologue, mène une nouvelle recherche...

Ismaël Tchang, créateur de mode, est un jeune Chinois de nationalité
malaisienne, devenu moine bouddhiste.

II. Pomme, poète et musicienne, est éprise de culture Zen.

III. Kim, moine eurasien, habite tout en haut, dans la petite pagode.

Anonyme, un enfant se noie dans un petit bassin.

IV. Fabrice de Guermante, moine distingué, est le standardiste du monastère.

Bobby, vénérable en blouson de cuir, brique sa Harley Davidson.

Perceval, moine anglais, est décédé prématurément en mer.

V. Jean & son épouse appartiennent à un groupe chrétien de prière.

Antoinette, toujours impeccable, enseigne la relaxation.

VIII. David, moine handicapé, s’éteint trop jeune.

IX. Gondor, vieux lama tibétain accompli, existe par les liens du souvenir...

X. Sébu, régent de la branche légitimiste de la lignée s’oppose à

Balibar, renégat rutilant, acculé à la débâcle de ses ambitions.

Karmatchup, l’enfant bouddha retrouvé par Balibar, est si controversé.

Ananda, l’érudit précepteur du petit Karmatchup, décède comme foudroyé.

Le crocodile imperator du Ténéré vivait au paléolithique...

XI. Pablito, un Indien Tacos Pueblo, est psychologue :
il raconte son expérience de mort imminente à l’hôpital.

Andrés & Woopie, un couple de dévots, fait du prosélytisme.

XII. Crocki, alias Donald von Ajax, grignote ses chips...

XIII. Friedrich W. von Ajax, son père, est économiste ultra libéral.

XIV. Enriqué, Priscilla, Paradisio et bientôt le Dr Médor et Eternity jouent au tulkou...

XV. Tchenrézys, flamboyant supérieur d’une congrégation fait des siennes.

Le daïla lama reste présence sereine du Tibet (du moins à la télévision).











TABLE DES CHAPITRES

I. SECRET TANTRIQUE
UNE BOMBE AU CHOCOLAT

II. LE LANGAGE DE LA COMPASSION
À PIED D’ŒUVRE

III. TÉLÉPATHIE
LA PETITE PAGODE

IV. VISION PURE
LA HARLEY DU VÉNÉRABLE

V. IMAGISHARK PRÉDATEURS
LÂCHEZ-MOI CE HACHOIR !

VI. RÉCIT DE RETRAITE CONTEMPLATIVE
UNE FULGURANTE SÉRÉNITÉ (PAR POMME)

VII. EXPÉRIENCE DE MORT IMMINENTE (N.D.E.)
AU SEUIL DE LA VIE

VIII. VACUITÉ
JE PEUX REGARDER LA MER

IX. RÊVE LUCIDE
« LE MOULBIF ENVOIE GRAVE LA PURÉE »

X. KARMA
LE CROCODILE IMPERATOR

XI. DÉVOTION
LE NIRVANA EN KIT

XII. BÉNÉDICTION BOUDDHIQUE
LES ANGES GARDIENS

XIII. PRATIQUES ERRONÉES
ILS GAGNAIENT LES DOLLARS

XIV. SEXE, MENSONGE & VIDEO
LA FABRIQUE DU TULKOU

XV. MANDALA
COOKIES !

ÉPILOGUE 1 DHARMA
QUE SONT-ILS DEVENUS ?

LES TERRES PURES
L’ÉTHER PUR

ÉPILOGUE 2 SAMSARA
DES GAUFRES !




« Les divinités courroucées du bouddhisme tibétain et mongol relèvent d’une violence symbolique dont on peut se demander si elle constitue le retour du refoulé, un exutoire à la violence réelle, ou au contraire son reflet, voire sa cause profonde. » *

« Il faut bien avouer qu’au cours de son histoire mouvementée, le bouddhisme a bien souvent été du côté du manche. Car avec ses pouvoirs occultes, sa magie noire, il dispose d’armes surhumaines capables de détruire les démons. Qui sont les démons ? [...] Dans chaque camp, des prêtres tantriques ourdissent des sorts. » **

« Bien sûr il faut choisir le camp de l’opprimé. Mais à long terme toute cette béatification aura des effets négatifs, quand on s’apercevra que le bouddhisme d’Hollywood est un mythe. » **


Bernard Faure
Professeur d’Histoire des Religions
Université de Stanford, Californie.




Notes :


* in Le Monde, Vendredi 12 octobre 2001, p. VI.
** in Le Nouvel Observateur, 3-9 août 2000, p.16.

[1] « Stock Exchange » : [angl.], « La Bourse ».
[2] « Traders » : [angl.], courtiers.
[3] « Afficionados » : [esp.], personnalités en vue.
[4] « Blisters packs » : [angl.], étuis, sachets.
[5] « Rollercoaster » : [angl.], attraction de fête foraine aux montagnes russes.
[6] « Fifty-fifty » : [angl.], « cinquante-cinquante ».
[7] En 2002. Source : Newsweek.
[8] « Golden girls »: [angl.], familier : « filles dorées », femmes enrichies par la finance spéculative. « Business boys » : [angl.], familier, « garçon d’affaires ».
[9] « Dealer » en anglais signifie aussi négociant.
[10] « Dharma » : [skt], « phénomène » ou « bonne loi ». Ce terme évoque la manière juste d’accomplir sa condition humaine.
[11] « Go-go boy » : [angl.], danseur de cabaret.
[12] « Skylounge » : [angl.], « salon du ciel », espace de convivialité aménagé à l’étage supérieur d’un bâtiment et doté de baies vitrées panoramiques.
[13] Dans une école tantrique est dite saveur unique la même qualité vide et sans substance commune à tous les phénomènes.
[14] Pour découvrir la suite de l’histoire de Pomme, Antonin & Tchang, le lecteur et la lectrice peuvent, s’ils ne désirent pas lire le mince recueil qui suit, se rendre directement à l’Épilogue 2, intitulé « Samsara ».
[15] « Samsara » : [skt], « cycle des existences » ou encore « monde régi par la roue du temps ».

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